ARK NETWORK reference.ch · populus.ch    
 
  
MARTINIQUE HUMANISME 
 
 
Rubriques

Liens

 Home

La peau et le sucre

La peau et le sucre, par Marie-Louise AUDIBERTI 
 
 
 
LA PEAU ET LE SUCRE 
C’est un roman de Marie-Louise AUDIBERTI que nous avons choisi pour présenter la Martinique d’autrefois. Martinique d’autrefois, certes, mais Martinique d’un passé toujours présent dans l’île, du moins dans les esprits. 
 
La peau et le sucre brosse le tableau de la vie en Martinique, quelques années avant l’abolition de l’esclavage, en 1848. Un roman avec d’un côté les propriétaires békés, avec leurs fêtes désuètes, leurs alliances longuement préparées, leur crainte latente des soulèvements d’esclaves. Et de l’autre côté Zélie, la câpresse, qui aura un fils d’un blanc bientôt assassiné, puis d’un Noir révolté. 
 
Voici un court extrait de 'la peau et le sucre", publié avec l'autorisation de l'auteur qui nous présente un peu plus loin elle même et son livre. 
 
« Deux femmes installent la jarre pleine d’eau sur le carré de madras que Zélie a plié en coussinet sur sa tête. Seule, elle ne pourrait pas. Vingt ou trente litres ne se hissent pas à bout de bras, et les porteuses, il faut souvent les aider, au départ comme à l’arrivée. Théatine, la négresse qui commande aux filles, a mis ses poings sur les hanches et elle glapit, et ses yeux tout ronds lui sortent de la tête. Ce n’est pas parce que Zélie porte petit que l’on va lui servir du blanc-manger. Qu’elle cesse enfin de songer comme une Blanche alanguie derrière le tulle d’une moustiquaire ! Il faut porter de l’eau aux hommes de l’autre côté de la rivière, et Zélie devra passer le torrent à gué, par les pierres dures. 
 
Les hommes qui fauchent les cannes dans u crissement plaintif ont la langue desséchée, et parfois les pauvres mouns tombent, terrassés, sans même avoir eu le temps de recommander leur âme au Seigneur ou aux esprits, les deux cela vaut mieux . Ils vont heureusement dans un monde meilleur, là où le sucre est seulement bon sous la langue, tout cristal, au lieu d’être fatigue dans les reins, soleil vert dans les yeux... 
 
Dans la verdure argentée des cannes, il faisait très chaud ce jour-là. Les hommes marchaient devant avec leur grand coutelas, fauchant d’un coup les grandes tiges. Les femmes suivaient, ramassant les cannes qu’elles liaient ensemble par bottes de dix, et envoyaient en arrière. D’autres ramasseraient. 
Deux hommes étaient chargés de stimuler la compagnie en frappant du tambour bel-air, puis le commandeur vous obligeait à chanter. Une grande mélopée, plainte ou complainte, courait alors dans les ondulations vertes. 
Parfois un coupeur défaillait. Les plus fragiles étaient les engagés blancs, peu résistants au climat tropical, et c’était pitié des les voir se déchirer comme guenilles aux arêtes de la canne, cette « eau debout » qui déferlait sur le sol de la Martinique… 
……………………………………………………………………………………………………………. 
Zélie entra dans l’eau froide, la jupe relevée en coquille, afin de laver toute la sueur lourde qui perlait su ses cuisses, et la douleur, tout à coup, lui transperça le ventre, une douleur qui l’ouvrait et l’éblouissait. Cela aussi, c’était normal… 
Nous étions à la saison des pluies, et l’air s’alourdissait, et l’eau de la rivière brûlait aussitôt sur la peau comme avalée par la torpeur. A l’ombre d’une grande fougère, Zélie sentit une seconde fois la douleur… 
- C’est an ti gâçon, il est beau, ma chère. Regarde ton négro. Il a sauvé une belle couleur, tonnerre ça oui.

 
***** 
Interview de Mme Marie-Louise AUDIBERTI
 
Mon grand-père était ce qu’on appelle un mulâtre blanc, un peu comme le Dr Aliker. De ma grand-mère au teint plus foncé, on disait qu’elle avait des origines caraïbes.  
 
A Saint-Pierre ils menaient une vie large; je crois que l’aïeul était commerçant en bijoux, mais ils ont tout perdu avec la catastrophe. Mon grand-père a raconté sa vie heureuse de jeune homme avide de plaisirs à Saint-Pierre. Il s’appelait Virgile Savane et écrivait sous le nom de Salavina. Nous avons fait rééditer ce livre à l’Harmattan : 
SAINT-PIERRE, LA VENISE TROPICALE (1870-1902) 
Salavina 
MONDE CARAÏBES 
 
Ma famille a pris le dernier bateau qui reliait Saint-Pierre à Fort de France. Ma mère avait trois ans. 
 
A Fort de France, mon grand-père était contrôleur des contributions, comme le père d’Aimé Césaire, et ma grand-mère directrice d’école. 
 
Ils rêvaient de la Métropole où les enfants, au nombre de sept, pourraient continuer leurs études. Mais une fois à Paris, ils regrettaient leur île, sa beauté, sa chaleur, sa lenteur, et bien entendu, dès qu’ils se trouvaient entre eux, ils parlaient créole.  
 
Ma mère s’est mariée avec Jacques Audiberti qui était à l’époque journaliste. Ma soeur Jacqueline est née en 1926 et moi en 1928.  
J’ai découvert la Martinique sur le tard pour écrire ces ouvrages. Ma mère n’y est jamais retournée. Mais elle ne s’est jamais vraiment adaptée à la France. 
 
Je suis retournée plus tard à Fort de France, pour une grande manifestation autour d’Aimé Césaire qui représente beaucoup à mes yeux. Le poète et l’homme politique ont donné un sens, me semble-t-il aux Antilles, mais pas seulement. Ce “nègre fondamental” comme il se nomme, pose la problématique de l’homme en général, et particulièrement de l’homme minoritaire. Et je n’oublie pas qu’il le fait en poète. Sa poésie est ancrée dans une terre volcanique, toujours menacée dont il sait la force et la fragilité. 
 
 
 
 

 

(c) Jean-Pierre MAURICE - Créé à l'aide de Populus.
Modifié en dernier lieu le 13.07.2009